DROITS DE L’HOMME IRAN
Publié le 12-06-2013 Modifié le 12-06-2013 à 16:58
par Véronique Gaymard
http://www.rfi.fr/moyen-orient/20130610-peine-mort-iran-enjeu-crucial-selon-emadeddin-baghi-droits-homme/
Emadeddin Baghi vit à Téhéran et se bat contre la peine de mort dans son pays. Il a purgé plusieurs années de prison pour «propagande contre l’Etat», pour avoir écrit des articles dénonçant les exécutions et revendiquant des droits pour les prisonniers. Depuis 2009, il est empêché de sortir de son pays.Moins d’une semaine avant le scrutin présidentiel iranien du 14 juin, et à la veille de l’ouverture du Congrès Mondial contre la peine de mort à Madrid auquel il aurait dû participer, Emadeddin Baghi a confié ses craintes à RFI. Il continue de se battre contre la peine capitale, qui selon lui, est une question clé pour résoudre les problèmes de droits de l’homme en Iran.
Emaddedin Baghi se bat depuis des années contre la peine de mort dans son pays. L’Iran est l’un des cinq pays qui exécute le plus, par pendaison ou par lapidation publique (entre 520 et 580 exécutions en 2012 selon des estimations), y compris des femmes et des mineurs. Il s’inquiète des effets de la banalisation de ces exécutions. « Moi qui ai comme premier souci les questions liées à la peine de mort, je m’inquiète surtout de l’augmentation des exécutions en Iran. Et le fait qu’il y en ait de plus en plus, fait que cela devient quelque chose de banal dans la société iranienne. Sur les milliers de SMS que les Iraniens s’échangent, ils parlent surtout de la vie chère, de la mauvaise gestion d’Ahmadinejad, de la mort de Chavez, du nucléaire, et de dizaines d’autres sujets… Mais aucun de ces SMS ne fait allusion de près ni de loin à la peine de mort. Cela n’a rien à voir avec les positions du gouvernement : ce sont les gens qui sont comme ça. Cela montre qu’ils sont indifférents, les exécutions deviennent de plus en plus banales », explique le militant avant d’ajouter : « Et bien sûr, l’Etat continue ses exécutions sans se soucier de l’opinion publique. Et puis les problèmes économiques de la vie quotidienne empêchent aussi les gens de penser à autre chose. Ils sont trop préoccupés par leurs propres difficultés ».
La peine de mort : une source de violence pour toute la société
Emadeddin Baghi a connu la prison à plusieurs reprises pendant plus de cinq ans. Journaliste et militant des droits humains, il a été libéré le 20 juin 2011. Il continue de dénoncer les pratiques des autorités. Car, selon lui, la peine de mort constitue une source de violence pour toute la société. « Je pense que résoudre la question de la peine capitale, c’est la clé pour tout le problème des droits de l’homme en Iran. La vie humaine, c’est comme la racine de l’arbre. Le reste, c’est comme les branches. Si on trouve une solution à la peine capitale, il y aura d’autres ouvertures. Bien sûr, il y a des considérations pratiques, politiques et aussi religieuses. Mais la peine de mort, c’est une source de violence pour toute la société ».Emadeddin Baghi dit se concentrer sur ce combat, et pense de plus en plus que la question de la peine capitale doit être posée en termes de dignité humaine. « J’ai devant moi la couverture d’un quotidien avec un article où le chef de la police dit : “Celui qui croit en l’Islam en dehors de la primauté du Guide suprême poursuit la loi du salafisme, et verser son sang sera autorisé”. Quand vous voyez qu’un chef de la sécurité officielle s’exprime de cette façon à propos de la vie humaine, comme si les êtres humains étaient des cafards, cela signifie que dans la tête de la plupart de ces gens-là, la notion de dignité humaine n’existe pas ».
Un engagement malgré les risques
Dans son pays qu’il ne peut quitter, Emadeddin Baghi tente de sensibiliser les gens et notamment les jeunes, par l’éducation et les publications, malgré les risques. « Quand on croit vraiment à quelque chose et qu’on a de la volonté, à chaque fois qu’une porte se ferme, une autre s’ouvre. Jusqu’en 2009, j’étais plus actif. Maintenant, mes activités sont plus restreintes », poursuit Emadeddin Baghi. « Nous avions deux associations : “Droit à la vie” et celle pour la défense des droits des prisonniers. On les a fermées. Mais on a écrit un ensemble de nouvelles publiées sous forme de livre, déjà traduit en anglais et qui sera présenté au Congrès de Madrid, pour le grand public, pas uniquement pour des intellectuels, mais pour faire un travail de sensibilisation. Mais pour être actif dans ce domaine, il faut considérer qu’il s’agit d’une activité stratégique et sur le long terme. Je sais bien qu’il y a d’abord la pauvreté, la misère, la guerre mais quand on parle de la peine de mort, cela n’exclut pas les autres fléaux », martèle-t-il.
Inquiétude sur les élections
Emaddedin Baghi se dit inquiet pour les élections à venir et d’éventuelles violences, d’autant que les personnes arrêtées il y a quatre ans sont toujours derrière les barreaux. « Puisque cela fait plusieurs mois que les autorités parlent d’une nouvelle révolte, ma grande inquiétude, c’est que les événements sanglants d’il y a quatre ans se répètent, surtout les arrestations. On sait que les prisonniers d’il y a quatre ans sont toujours en prison, ils n’ont pas été libérés. On sait aussi qu’une bonne partie de la société aurait souhaité voter pour Rafsanjani, mais que certains milieux du pouvoir y étaient réticents. Cette polarisation m’inquiète. J’espère que les responsables sauront agir de façon raisonnable, qui ne permette pas que de tels événements tragiques ne se répètent, car cela pourrait faire glisser le pays dans des violences de longue durée. Avec les événements en Iran en 2009, les plus touchés ont été ceux qui travaillaient étroitement en relation avec les questions de droits de l‘homme. J’espère qu’avec cette polarisation, la situation ne sera pas trop amère », conclut le militant, qui suivra de près leCongrès Mondial contre la Peine de Mort qui s’ouvre ce mercredi à Madrid. Il ne pourra pas y assister car il n’est pas autorisé à quitter le pays.