– Un défenseur iranien des droits de l’homme a été interdit de quitter son pays pour venir recevoir son Prix en France
Le Figaro, 13 décembre 2005.
Les autorités iraniennes ont refusé de laisser Emadeddin Baghi, champion
de la lutte des droits de l’homme en Iran, quitter le territoire iranien
pour venir se faire remettre une distinction hier, à Paris, par le premier
ministre français.
Téhéran : reportage de Delphine Minoui
Au troisième étage de ce petit bureau téhéranais, c’est la consternation. Après trois années de combat laborieux pour un plus grand respect des prisonniers iraniens, Emadeddin Baghi s’est vu interdire d’aller se faire remettre le Prix des droits de l’homme de la République française, hier, à Paris. A la dernière minute, les autorités iraniennes ont refusé de lui rendre son passeport, confisqué l’an passé. « Si seulement ils avaient pu me donner une raison valable…. Mais je n’ai reçu aucune réponse », regrette l’intellectuel iranien, perdu dans ses pensées.
Aux yeux des nouvelles autorités conservatrices au pouvoir, des militants démocratiques comme Emadeddin Baghi ou Shirine Ebadi, l’avocate lauréate du Prix Nobel de la paix 2003, ne sont que des fauteurs de trouble. « Lors d’un récent entretien avec un responsable de la police, je me suis vu répondre qu’en défendant les droits des prisonniers, je cautionnais leur violence et leurs crimes », se désole Baghi.
A Téhéran, le nom d’Emadeddin Baghi, 43 ans, visage fin et barbe brune, est associé aux années Khatami, celles de l’assouplissement de la censure, du boom de la presse et des kiosques remplis de nouveaux journaux pro-réformateurs : Salam, Neshat, Khordad, Fath …. Mais à la fin des années 90, ces quotidiens disparaissent l’un après l’autre sous les foudres de la justice conservatrice. Leurs rédacteurs en chefs, défenseurs acharnés d’une plus grande liberté d’_expression, sont jetés derrière les barreaux. Emadeddin Baghi remue ciel et terre pour leur libération. Jusqu’à se retrouver, lui même, en prison, de 2000 à 2003, pour ses écrits dénonçant, entre autres, la peine de mort en Iran. Ses tortionnaires l’accusent d’apostasie et d’atteinte à la sécurité nationale. A sa sortie, son combat prend alors un nouveau tournant : il décide de prendre ses distances avec la scène politique pour créer « l’association de défense des prisonniers».
« D’après nos statistiques, quelque 137 000 prisonniers sont recencés à travers le pays, parmi lesquels se trouvent plus d’une centaine d’opposants (moudjahiddins, militants kurdes, etc) et une quarantaine de détenus politiques (étudiants activistes, journalistes libéraux…) », explique Baghi. Composée d’une centaine de bénévoles, l’association indépendante s’efforce de leur garantir de meilleures conditions de détention. A coup de pétitions, de lettres ouvertes dans la presse, de sit-in devant l’université et le palais de justice, Emadeddin Baghi et ses amis se battent pour la libération du dissident iranien Akbar Gandji, ancien compagnon de cellule, emprisonné depuis 5 ans, et dont la santé ne cesse de se détériorer. L’association vient également d’aider Ahmad Batebi à trouver un emploi dans une agence de publicité. Le jeune étudiant, tout juste libéré de prison, avait été arrêté au moment des émeutes de l’été 1999, pour avoir arboré un T.shirt ensanglanté devant l’appareil photo d’un grand magazine américain.
Mais le combat de Baghi se concentre aussi sur ces milliers d’autres prisonniers, inconnus aux yeux du grand public. « Mes amis intellectuels ont tendance à croire que les droits de l’homme sont respectés à partir du moment où l’un d’entre eux est libéré. Mais ils ne représentent qu’un nombre infime des prisonniers. Les voleurs, les drogués et les criminels sont eux aussi des êtres humains qui méritent d’être respectés», insiste-t-il.
Fréquenter pendant trois ans des prisonniers de droit commun lui a ouvert les yeux, dit-il, sur l’ampleur du fossé qui sépare la société de la classe intellectuelle iranienne. Pour lui, c’est ce même fossé qui a provoqué la récente victoire du Président Mahmoud Ahmadinejad. En juin dernier, cet ultra conservateur a fait campagne sur la base de slogans populistes à l’attention des chômeurs et des deshérités. « Les réformateurs se sont trop concentrés sur des idées abstraites comme la démocratie. Ils auraient du faire du travail social », dit-il. Dès 1997, son essai, intitulé « Le pain ou la liberté ? » avait essayé de mettre l’accent sur ce fossé. « J’y montrais que bien souvent les dictateurs ont réussi à s’imposer en promettant du pain, et en faisant de la liberté un luxe d’intellectuels », dit-il.
Soudain, la sonnerie du téléphone vient marquer une pause dans l’exposé finement détaillé d’Emadeddin Baghi. L’appel vient d’un captif de Karaj, à la périphérie de Téhéran, accusé de détournement de fonds et condamné à passer dix ans derrière les barreaux. Sur son calepin, Baghi griffonne quelques notes. La voix posée, il promet à son interlocuteur de lui trouver un avocat. « Les prisonniers sont nombreux à ne pas avoir de défense. Les visites des familles sont limitées, parfois inexistantes. Bien souvent, la torture est psychologique… Je n’oublierais jamais ces trois hommes rencontrés en prison, accusés de s’être enrichis illégalement. Pour les faire craquer, leurs bourreaux inventaient les pires mensonges : « Ta femme s’est remariée », « Ton fils est mort », etc. . Complètement désespérés, ils avaient émis le vœu de voir, ne serait-ce que 3 minutes, leurs épouses, avant de subir la peine capitale».
La peine de mort : voilà un thème qui ne cesse de hanter Emadeddin Baghi. En Iran, le nombre annuel de condamnations est estimé à plus d’une centaine. A 90 % des cas, elles se font par pendaison, – souvent sur la place publique. Selon les lois en vigueur, les meurtres, l’adultère, l’homosexualité, la prostitution, l’espionnage ou l’apostasie sont autant de crimes
passibles de la sentance capitale. Dans son nouveau livre « Le droit à la vie », Baghi détaille, point par point, les raisons pour lesquelles les autorités religieuses devraient y renoncer. Mais cela fait maintenant six mois que l’ouvrage de 200 pages croupit dans les caves poussiéreuses du comité de censure du Ministre de la Culture. « Sous Khatami, le comité nous imposait parfois certains changements, mais en général on finissait par obtenir l’autorisation de publication. Mais avec la nouvelle équipe, on ne nous répond même pas. Je suis pessimiste sur le devenir de la liberté d’_expression en Iran», confie-t-il.
Songe-t-il à baisser les bras ? « Pas question ! », s’exclame-t-il. Les pressions sont pourtant nombreuses. Cinq de ses vingt livres ont été retirés des librairies. Trois autres attendent une autorisation. Lancé à l’automne 2004, son quotidien « Jomhouriyat » (« Républicain ») a été interdit au bout de deux semaines. Le mensuel Jameh yé Now, dont sa femme était la directrice, a également été suspendu. C’est elle qui a fait le déplacement, hier, à Paris, pour récupérer son Prix. Elle y a annoncé le vœu de son mari d’initier une « journée internationale des droits des prisonniers » et d’approfondir ses activités sociales contre la peine de mort en Iran. « Je suis convaincu que ce n’est pas avec des slogans qu’on obtiendra la démocratie. En Iran, l’apprentissage démocratique se fera par les organisations de la société civile », insiste Baghi